Interview : Emmanuel Lassalle, marcheur athlétique et vegan

Une idée reçue très fréquente est qu’en adoptant un mode de vie végétalien, ou vegan, il y aura forcément un manque, de protéine notamment, mauvais pour la santé, ou en tout cas limitant les activités… Bien entendu, il existe de nombreuses façons de retrouver un équilibre en adoptant un mode de vie végétalien et une nourriture non issue de l’exploitation animale, et nous sommes heureux d’avoir pu poser nos questions à Emmanuel Lassalle, qui pratique le sport de haut niveau (il est marcheur athlétique de grand fond) et nous démontre à quel point être vegan est compatible avec n’importe quelle activité. Rencontre avec celui qui a fini le Paris – Colmar à la deuxième place en 2014 en 52 h et 56 minutes, devenant ainsi vice champion du monde de sa discipline.
 

Vous êtes un marcheur athlétique depuis des années, vous êtes ‘Vice Champion du monde’ 2014 de cette spécialité.  Qu’est-ce que vous a amené à choisir ce cheminement de carrière ?

 
Je suis spécialiste de "Marche athlétique de Grand Fond". La différence avec la marche athlétique de vitesse, comme le 20 et le 50 km des jeux olympiques, ce sont les durées et les distances d’effort. Nos épreuves font 24 heures et plus, comme nos mondiaux, le Paris-Alsace, anciennement paris-Colmar, qui font 440 km, et qui regroupent les 30 meilleurs marcheurs et les 20 meilleures marcheuses du monde sur 24 heures.
 

Pourquoi ce choix ?

 
La marche, c’est un coup de foudre. J’ai fait du triathlon, de la boxe, de la course à pied, mais aucun effort ne m’apporte cette plénitude que je ressent quand je marche. À 10 km/h et au delà, la sensation est vraiment grisante, on a l’impression de glisser sur la route.
De plus, j’ai toujours été passionné par les très longs efforts, depuis l’adolescence. Je me suis vite ennuyé sur les pistes d’athlé à tourner en rond quand j’ai commencé la marche en compétition. L’ultra-endurance s’est vite imposée.
 

L’année dernière vous avez terminé le Paris-Colmar à la deuxième place, en 52 heures et 56 minutes. Comment vous êtes-vous senti après ce challenge ?

 
Vivant ! J’y allais pour arriver avant tout, parce que le but premier c’est bien sur de rallier l’Alsace, mais aussi pour confirmer ma 4eme place de 2013. J’ai adoré vivre cette course durant laquelle j’ai toujours été bien. Vivre ce moment de vie avec mon équipe est toujours extra. Plus que le résultat ou la destination, c’est le voyage et l’aventure humaine qui comptent !
Au mois de juin dernier, cela ne s’est pas bien passé. Comme quoi les années se suivent mais ne se ressemblent pas. Les médecins m’ont arrêté après 313 km, victime d’un gros coup de chaleur. Je suis déçu, mais en même temps, le sport c’est la santé, ils ont donc bien fait !
 

Quelle nourriture et quelles boissons avez-vous consommé durant la course ?

 
Je consomme des boissons de l’effort faites maison, car dans le commerce, en étant vegan, il y a peu de solutions en diététique sportive, même si j’apprécie beaucoup VEGA SPORT et KRONOBAR, produits qui sont malheureusement trop chers.
Sinon, de la St-Yorre pour combler les carences en minéraux, de la soupe, du riz au lait végétal, de la purée-tofu, des barres 9BAR, du gâteau-sport à la patate douce… il faut être inventif et manger ce qui nous fait envie sur des efforts pareils. Les règles diététiques sont remises à zéro.
 

Vous êtes connu comme ambassadeur du mode de vie vegan dans votre sport. Y’a-t-il parmi vos collègues, des personnes qui ne connaissent pas ce régime ?

 
Ils le connaissent bien sur, mais il est difficile de faire évoluer les mentalités ! Grâce à mes résultats, j’arrive à susciter un questionnement, et là on peut échanger et informer.
 

Avez-vous d’autres collègues ‘végans’ ou restez-vous quand même un exemple rare ?

 
À ma connaissance, je suis le seul dans ma discipline et dans le sport de haut-niveau en France, même si deux de mes adversaires et amis sont végétariens, avec de supers résultats aussi ! Mais bien sur, c’est à ma connaissance…
 

Selon votre expérience, est-ce qu’il est possible de concilier le sport et la nourriture végétalienne ? Quels obstacles avez-vous dû surmonter ?

 
Absolument , avec néanmoins quelques réserves. J’ai évidemment beaucoup lu, cherché les infos lorsque je suis devenu végan en 2013. Malgré tout, l’obstacle le plus difficile à  franchir a été d’équilibrer toute mon alimentation. En effet , je m’entraîne deux fois par jour et je « grille » entre 3 et 4000 kcal à chaque journée, parfois plus. Et j’ai dû me mettre à travailler avec un nutritionniste spécialiste des sports d’endurance qui m’aide au quotidien, car j’ai eu de grosses carences, notamment en B12 et en coenzyme Q10, car l’ultra-endurance, cela amène un stress oxydatif énorme au corps !
Sportif et végétalien , bien sur que cela est compatible ! Mais lorsque tu fais du haut-niveau dans une discipline qui te prend de 3 à 5 heures par jour, que ce sport est ton métier, PAS SANS ACCOMPAGNEMENT PAR UN SPÉCIALISTE ! Encore une fois je ne dis cela qu’à travers mon vécu et je n’ai pas la science infuse.
 

Dites-nous :  quels sont des produits alimentaires indispensables dans votre vie et dans votre sport ?

 
Dans ma vie, rien de plus simple ! Des fruits et légumes en quantité, du tempeh, miso, edamame, du soja jaune et ma soyabella pour faire mes laits végétaux et mon tofu moi-même. Toutes les légumineuses possibles et mes amandes, noix, et autres oléagineux… et puis les chips ! Je suis un mangeur de chips… après une journée d’entrainement, on a envie de manger salé et des fois, ça dérive un peu, hihihi…
Comme dans le sport, je consomme également des compléments alimentaires à base de soja de la marque Reliv. C’est un ami vegan qui m’a mis en contact avec eux. Leurs produits sont un réel plus pour moi dans la gestion de mes apports énergétiques.
 
Mais je fais beaucoup de choses moi-même, car j’ai des fois des envies bizarres en course, comme des tortillas au houmous, des parts de pizza vegan maison… alors je dois beaucoup cuisiner.
 

Avez-vous un conseil pour les personnes sportives, qui hésitent à tester la nourriture végétalienne par crainte d’avoir des carences, en protéines par exemple ?

 
Cela dépend du sport pratiqué et à quelle fréquence , mais d’une manière générale , veillez bien à augmenter les apports rapport à une personne sédentaire. Vous ne serez pas suralimentés.
Les carences en protéines sont un faux problème, à mon avis. Si on mange du soja tous les jours, ou du seitan, et des légumineuses en quantité suffisante à chaque repas avec une bonne céréale complète, on n’aura pas de souci.
Ne pas hésiter à faire des bilans sanguins poussés, et à bien surveiller son poids et sa masse graisseuse. Je ne conseillerai jamais assez de prendre l’avis de spécialistes en cas de doute !
 

Une question plus personelle : votre famille, suit-elle votre régime ?

 
Mon épouse et mes enfants sont plutôt des omnivores « raisonnés ». Dans la famille, c’est respect et tolérance pour les goûts de chacun. Je me suis fait beaucoup attaquer là-dessus : « moi, je ne pourrai pas vivre avec un(e) omni, et bla bla bla ». Cela me gêne beaucoup. Je pense que même en cas de différence on doit pouvoir être intelligent dans son rapport aux autres…  et ça fonctionne car mon grand qui a 8 ans m’a demandé de l’aider à devenir végétarien. Comme quoi sans démagogie on arrive à tout !
 

Quels sont vos prochains défis sportifs ? Vos objectifs ?

 
Mes efforts sont tels que je ne peux en avoir que deux ou trois dans l’année. Mon premier est déjà le 19 septembre, à Roubaix (France), ou je participerai aux 28 heures internationales. Le but est de me qualifier tôt pour les Mondiaux, le paris-Alsace, qui aura lieu du 1er au 4 juin 2016, pour pouvoir me préparer sans pression et effacer ma déception de 2015. Entre-temps, le dernier weekend de mars 2016, je serai au départ des championnats de France des 24 heures, avec pour objectif de faire au moins aussi bien que cette année (vice-champion de France).
 

Et dernière question : que souhaitez-vous pour notre salon ?

 
Déjà , plein de réussite ! C’est une belle initiative ! Peut-être que le sport pourrait y avoir une plus grande place, en effet, le sport c’est la santé et le véganisme aussi, ça irait de pair, non ? Inviter peut-être des acteurs de la nutrition sportive végane (idée lancée au hasard…).
 
Merci encore à Emmanuel d’avoir pris le temps de répondre à nos questions, et pour toutes ses idées pour le salon VeggieWorld. Nous serons d’ailleurs ravis de l’y accueillir pour une conférence, avec nous l’espérons une médaille autour du cou !
 
 
 
Saving